La technologie : vers un partage de l’information médiatique?

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Le modèle de soins traditionnels dans lequel le professionnel de la santé détient l’ultime savoir et l’exclusivité des connaissances médicales serait-il dépassé?

Quoi qu’il en soit, nous observons que l’implantation d’Internet et des nouvelles technologies a certes donné une voix au public, ce dernier étant davantage armé pour s’abreuver d’informations en santé et mieux comprendre les symptômes l’affligeant ou encore un diagnostic quelconque. Cependant, où puise-t-il ces renseignements? Qui est à la source de ces informations? Les professionnels de la santé sont encore peu nombreux à s’afficher médiatiquement. Pourtant, compte tenu de leur expertise, ne devraient-ils pas être à la tête des échanges communicationnels sur les différentes plateformes médiatiques? Nous discutons de cette problématique avec monsieur Marc Zaffran, à la fois médecin, écrivain, chercheur… et blogueur!

En tant que médecin, vous êtes très présent dans l’espace médiatique. Selon vous, quel est l’intérêt à échanger avec le public par l’intermédiaire des médias?

D’abord, il faut garder en tête qu’un des principaux rôles du médecin, c’est d’informer. Ainsi, c’est l’information qui conditionne la bonne utilisation des ressources. Le public aujourd’hui est davantage sur Internet et sur les nouveaux médias. Pourquoi ne pas profiter de cette avenue pour leur communiquer un message, pour encourager les comportements préventifs en santé?

Ensuite, par principe, toute relation entre un médecin et son patient doit être annoncée par un dialogue. De ce fait, pour moi, le fait de dialoguer, ou plutôt de divulguer de l’information sur des plateformes à des gens qui ont droit à cette information est un acte tout à fait justifié dans le domaine de la santé. Mon blogue comporte essentiellement des renseignements sur la contraception et la sexualité des femmes. En pratique, je me suis aperçu à maintes reprises qu’énormément de femmes avaient des questions qui restaient sans réponses, ou encore, qu’on leur donnait de l’information qui se révélait non fondée. Mon objectif a donc été de rectifier les faits, notamment par le biais de mon blogue. Il existe actuellement un problème éthique, se traduisant comme suit : le savoir médical est perçu comme l’unique propriété des soignants. Le partage d’information fait partie du processus de soins, ne l’oublions pas. Les médecins et tous les soignants ont donc une obligation morale de partager ce savoir. Plus il y aura de gens qui connaîtront des faits scientifiques sur la santé, plus ces derniers seront armés pour faire face à des problèmes médicaux, quels qu’ils soient. Il s’agit en fait d’une redistribution du savoir, qui permet aux gens de contribuer à leur processus de soins.

Est-ce que cela nécessite beaucoup de votre temps pour alimenter le blogue et répondre aux nombreuses interrogations?

Cela fait maintenant dix ans que le blogue existe. Il est vrai que durant les premières années de sa création, je recevais énormément de messages du public. Aujourd’hui, avec l’émergence des forums et des nombreux blogues en santé, je ne suis plus le seul acteur impliqué médiatiquement, et heureusement! Les sources d’information sont beaucoup plus variées, ce qui fait en sorte que les utilisateurs ont accès à de nombreux points de vue et qu’ils peuvent choisir l’approche et les méthodes qui leur conviennent.

Et parlant de votre blogue… jusqu’où pouvez-vous aller dans la consultation en ligne?

D’abord, dédramatisons cet aspect. Je ne fais pas de consultation en ligne, au sens où je ne vais pas prescrire de médicaments; je n’exerce pas non plus, je ne fais qu’échanger. Ainsi, je me contente de donner mon opinion, mon avis en tant que professionnel. Quand, par exemple, une jeune femme m’écrit : « Je n’ai pas d’enfants et j’aimerais me faire poser un stérilet, mais le gynécologue me dit que je n’ai pas le droit. », eh bien, je peux lui répondre que c’est faux! En fait, je lui donne une information qu’elle pourrait très bien trouver par elle-même dans des revues spécialisées, dans la littérature scientifique, etc. La différence est simplement que je lui donne une information personnalisée en l’aidant à y voir un peu plus clair selon sa situation spécifique. Ce n’est donc pas une consultation, mais plutôt un avis construit à partir de ce qu’elle voudra bien me confier.

Bien qu’on observe une certaine tendance à ce que les professionnels de la santé soient plus impliqués sur les différents médias, pourquoi selon-vous êtes-vous encore peu nombreux à vous afficher médiatiquement?

De mon point de vue, plusieurs raisons expliquent cette réalité. D’abord, il y a nécessairement la contrainte de temps. Beaucoup de médecins ne peuvent pas consacrer du temps à ce genre de communication en raison de leur type de pratique, ce qui est justifié. Toutefois, je crois que peu de médecins décident de s’impliquer médiatiquement en raison d’une certaine hostilité à l’égard de cette nouvelle forme communicationnelle d’échanges. En effet, nombreux sont ceux qui croient qu’ils demeurent les seuls compétents pour donner de l’information, et donc qu’il n’y a pas réellement matière à négocier avec le patient. Ces médecins pensent que leurs compétences résident dans le fait que ce sont eux qui détiennent l’information et qui la délivrent. Ils perçoivent donc ces échanges comme une accentuation de l’autonomie des patients et s’en méfient. Pour moi, cela ne tient pas la route. Je pense que la compétence réside beaucoup plus dans le fait d’aider les gens à faire des choix qui soient également satisfaisants pour eux.

Selon vous, y a-t-il des dangers à s’afficher publiquement à travers les médias en tant que professionnel de la santé?

Je vous dirais que le danger n’est pas pour les professionnels, mais plutôt pour les patients. En effet, le danger réside dans le fait qu’un médecin ou une sommité médicale puisse dire quelque chose d’erroné qui fasse du mal moralement à un individu, puisqu’il l’aura induit en erreur. Autrement, ce n’est pas dangereux pour un médecin d’écrire sur un blogue à partir du moment où il émet des faits qui seront scientifiquement prouvés… il ne faut pas avoir peur de s’investir médiatiquement! Il n’y a pas de véritable danger à donner des informations lorsqu’elles sont véridiques, et surtout dans un pays démocratique comme la France ou le Canada.

Monsieur Zaffran, diriez-vous que l’avenue des nouveaux médias a facilité la communication entre les patients et les soignants?

Oui, ne serait-ce que parce que les informations circulent plus vite et peuvent également circuler de manière directe. Il y a un énorme potentiel à exploiter cette voie communicationnelle. À ce jour, l’obstacle à cette forme d’échanges provient plutôt du côté des professionnels de la santé. Beaucoup d’entre eux considèrent ce qu’ils connaissent comme une vérité, un dogme. Pourtant, l’on sait bien qu’en termes de profession scientifique, rien n’est établi une fois pour toutes. Tout peut ainsi être remis en question du jour au lendemain. Il faut avoir l’esprit ouvert, n’est-ce pas? On ne peut pas reprocher d’une part aux gens d’être ignorants et de ne pas prendre leur santé en main, alors que d’autre part, on leur refuse une information médicale… Cela relève de l’incohérence! On ne peut plus s’opposer moralement au fait que les gens recherchent à s’éduquer. À l’avenir, le défi pour les professionnels de la santé sera donc d’accepter le partage de connaissances pour optimiser la communication médiatique.

// Par Noémie Desbois Mackenzie
Bachelière en communication, et présentement à la maîtrise en communication de la santé

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Sources :

Entrevue téléphonique réalisée avec monsieur Marc Zaffran, médecin, écrivain et chercheur, en date du 15 janvier 2014