Dépister la détresse en oncologie

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Qu’entend-on par détresse? Dans un tel contexte, nous pourrions la définir comme une émotion désagréable qui diminue la qualité de vie et peut nuire au fonctionnement de la personne. En ce sens, la détresse n’est pas étrangère aux personnes atteintes du cancer.

La maladie étant un concept autant terrifiant qu’imprévisible pour bon nombre de gens, il n’est pas surprenant qu’elle amène son lot de craintes, d’angoisses, se traduisant bien souvent par une détresse globale. Madame Marie-Claude Blais, PH-D. psychologue au sein de l’équipe d’oncologie psychosociale et spirituelle du CHU de Québec et également professeure au département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières, nous parle de l’importance de dépister la détresse, spécialement en oncologie.

Madame Blais, en 2004, le dépistage de la détresse est adopté dans le cadre de la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer. Qu’entend-on exactement par dépistage de la détresse?

Dépister la détresse, c’est en fait la première étape d’un processus. L’objectif ici est donc d’identifier de manière précoce les éléments qui pourraient poser problème pour la personne atteinte du cancer au cours de sa trajectoire de soins. Évidemment, on parle ici d’une détresse globale se manifestant dans une ou plusieurs sphères de vie de la personne concernée. La détresse se manifeste en lien avec des symptômes physiques (douleur, fatigue, nausée), mais elle peut se véhiculer dans diverses sphères de vie (psychosociale, familiale, sociale, existentielle, etc.). C’est pourquoi le dépistage de la détresse est considéré comme un incontournable dans un contexte de soins centré sur la personne.

Pourquoi est-ce primordial spécifiquement en oncologie de procéder au dépistage de la détresse?

Les études nous ont démontré que, spécialement en oncologies, la détresse demeure souvent sous identifiée et donc potentiellement sous traitée. Il y a quelques années, avant qu’un processus de dépistage soit mis en place, les patients pouvaient traverser leur trajectoire de soins en oncologie sans même être questionnés quant à leurs besoins, leurs problèmes, et donc sans que l’on s’attarde réellement à leur niveau de détresse potentielle. Ainsi, certains patients pouvaient en venir à croire, à tort,  que cette détresse est inhérente à leur condition et qu’ils se devaient de composer avec sa présence. Pour remédier à la situation et dans l’optique de mieux identifier et prendre en charge la souffrance des patients, nous avons donc mis en place une démarche de dépistage systématique de la détresse à l’aide d’un outil bref et utilisable par plusieurs soignants en oncologie.

Auprès de quelle clientèle faut-il dépister la détresse?

Au Canada, selon la Stratégie canadienne contre le cancer, on désire dépister la détresse comme 6e signe vital. Ainsi, dans l’idéal, nous voudrions dépister la détresse chez tous les patients recevant un diagnostic de cancer au moins une fois durant leur trajectoire de soins, et si possible, ponctuellement au cours de cette trajectoire. Évidemment, il faut s’assurer que tous les patients bénéficient de ce type de dépistage, peu importe si la détresse est flagrante ou bien si elle n’est pas apparente chez un individu; c’est pour cette raison qu’on parle de dépistage systématique.

Et puis… à quel moment dans le processus de la maladie faut-il dépister la détresse?

Évidemment, le plus tôt sera le mieux! Certes, un dépistage au début de la trajectoire de soins (à la phase diagnostique) est conseillé, nous permettant d’orienter le patient rapidement vers la bonne ressource. Ensuite, il faut savoir que les moments de transitions constituent des moments propices au dépistage. Ces moments de transitions sont par exemple le début ou la fin d’un traitement, un changement de protocole ou encore de visée de traitement. Il s’agit donc de moments charnières qui comportent souvent des agents de stress importants, lesquels nécessiteront une adaptation pour le patient.

Quels professionnels de la santé sont en mesure de dépister la détresse en oncologie?

Le dépistage de la détresse se fait surtout dans les équipes de soins auprès du patient. Chez nous, au CHU de Québec, les soignants habilités actuellement pour dépister la détresse sont les infirmières pivot en oncologie, les infirmières en radio-oncologie ainsi que les technologues en radio-oncologie. Progressivement, nous implantons également le dépistage systématique au secteur de l’hémato-oncologie (clinique externe de chimiothérapie). Ces soignants constituent en quelque sorte la première ligne, ce sont eux qui sont en mesure de « lever le drapeau », c’est-à-dire d’identifier la détresse. Ces intervenants peuvent déjà faire certaines interventions pour gérer la détresse identifiée, en fonction de leur champ de pratique (par ex., faire de l’enseignement au patient pour une meilleure gestion de la douleur, permettre au patient d’exprimer ses difficultés, lui rappeler les ressources disponibles, etc.). Ensuite, ces intervenants sont en mesure d’orienter le patient vers une ressource spécifique (travailleur social, ergothérapeute, intervenant en soins spirituels, psychologues, psychiatres, etc.) lorsque la nature et/ou l’intensité de la détresse l’exigent. Ces derniers travaillant plutôt dans l’optique de comprendre, d’apaiser et d’offrir une prise en charge des conditions qui suscitent la détresse.

Comment est-il possible de dépister la détresse et selon quels outils est-il suggéré de la détecter?

Nous avons développé un outil de dépistage, en concertation avec le Partenariat canadien contre le cancer. Ainsi, à travers le Canada, ce même outil est employé dans chacune des provinces, lesquelles ont toutefois pu y ajouter leur couleur. Grosso modo, notre instrument se décrit en trois parties distinctes. Premièrement, il y a le thermomètre de la détresse. Celui-ci permet au patient d’évaluer son niveau de détresse sur une échelle de 0 à 10. La deuxième portion suggère une liste de problèmes dans les différentes sphères de vie de la personne. Le patient doit donc identifier ses différentes préoccupations. Enfin, nous retrouvons l’Échelle d’évaluation des symptômes d’Edmonton (ESAS). Il s’agit brièvement de dix symptômes courants qui devront être analysés par le patient sur une échelle de 0 à 10. L’outil employé au Québec est donc une prémisse au dialogue avec le patient. En d’autres mots, il s’agit d’un prétexte pour ouvrir le dialogue entre patient et soignant, permettant alors de faire les interventions nécessaires et orienter au besoin ce patient vers la ressource adéquate.

Êtes-vous considérés comme pionniers quant au dépistage de la détresse en province?

Au CHU de Québec, nous avons joué un rôle de leadership en ce qui concerne le dépistage de la détresse à travers la province. Ainsi, nous siégions par ailleurs au sein l’équipe nationale du partenariat Canadien contre le cancer. Notre rôle est donc de former différentes équipes de soins provenant de divers établissements de santé afin de s’assurer que les intervenants soient habilités à dépister la détresse en oncologie. Cette année, un comité national au Québec a été mis sur pied afin de statuer collectivement sur le dépistage de la détresse en oncologie, les manières de procéder, etc. Vous savez, le dépistage est une première étape, mais il doit ensuite y avoir une continuité en termes d’évaluation plus approfondie de la détresse dépistée et d’interventions déployées pour en faire une gestion adéquate. Enfin, si l’on ouvre la voie au dépistage, nul doute que des services de qualité doivent être développés en conséquence. Cela constitue nécessairement un défi de taille.

Quels sont selon vous les défis associés à l’implantation du dépistage dans les institutions de santé?

Le changement en soi apporte son lot de défis. Évidemment, dès que l’on ajoute quelque chose à la tâche quotidienne des intervenants, il faut préparer les équipes, les sensibiliser et les soutenir dans l’implantation du changement. Cela demande une adaptation et des réajustements. Notre travail est donc de sensibiliser les soignants, de les convaincre et surtout de démontrer la pertinence d’un tel outil. Il faut les écouter et également être en mesure de les rassurer.

Croyez-vous qu’une meilleure communication entre le soignant et le patient peut permettre également l’amélioration des soins?

Je pense que oui! Vous savez, l’on dit que le patient est l’expert de lui-même de sa maladie. Il faut donc lui donner les occasions de s’exprimer afin de permettre une éventuelle collaboration. Lorsqu’on ouvre cette possibilité de dialoguer, le patient va nécessairement vouloir s’engager davantage, apprendre, et participer à son propre processus de soins. Ainsi, patient et soignant seront gagnants. En ce qui concerne la détresse, nous observons qu’un patient qui peut exprimer cette détresse et qui reçoit l’aide appropriée est un patient qui gardera davantage la forme, qui saura rester actif et qui sera aussi plus compétent pour prendre soin de lui-même. Nous avons encore du chemin à parcourir, mais le dépistage de la détresse dans les institutions de santé promet des avancées intéressantes.

// Par Noémie Desbois Mackenzie
Bachelière en communication, et présentement à la maîtrise en communication de la santé


Sources :
Entrevue téléphonique réalisée avec madame Marie-Claude Blais. PH-D. psychologue, équipe d’oncologie psychosociale et spirituelle du CHUQ. Et professeur, dép. de psychologie, Université du Québec à Trois-Rivières, en date du 27 mai 2014.