L’acide lactique, un marqueur de la fatigue?

- Sport et Santé

Il y a quelques semaines, j’ai assisté à l’excellente conférence de Guillaume Millet, ultra-trailer et physiologiste. Pendant sa conférence, il a montré quelques recherches relativement récentes sur l’acide lactique et il arrive à une conclusion très intéressante.

Effet protecteur de l’acide lactique sur la force musculaire

Dans une étude de Ole B Nielsen, Frank de Paoli, et Kristian Overgaard, les chercheurs ont remarqué que, dans des muscles de rats, l’acide lactique a un effet protecteur sur la production de force. Pour en arriver à cette conclusion, l’équipe a soumis des muscles de rats à des contractions répétées en présence de [K+], du potassium libre qui acidifie le muscle. Il y avait en tout trois groupes différents :

  1. Le groupe contrôle dans lequel on ajoutait du [K+] (carrés noirs)
  2. Un groupe dans lequel de l’acide lactique était ajouté au muscle en même temps que le [K+] (ronds noirs)
  3. Un groupe dans lequel on ajoutait du [K+] aux muscles puis, 90 minutes plus tard, de l’acide lactique (ronds blancs)

Voici les résultats :

Daniel Riou - acide lactique

Carrés noirs : groupe contrôle, la concentration en [K+] était artificiellement augmentée après 30 minutes.

Rond noirs : de l’acide lactique était ajouté en même temps que la concentration en [K+] était augmentée.

Ronds blancs : la concentration en [K+] était augmentée après 30 minutes. Après 120 minutes, on y ajoutait de l’acide lactique.

Ce qui est vraiment étonnant dans cette étude, c’est que l’acide lactique permet au muscle de bien fonctionner et de développer plus de puissance, même en présence d’une concentration élevée de [K+].

Et pourtant…

Même si, dans le muscle isolé, l’acide lactique semble avoir un effet positif sur la production de force, lorsqu’il est produit dans le corps humain, son effet semble néfaste. En effet, lorsque des sujets ingèrent une substance tampon, une substance qui permet de neutraliser l’acide lactique et de le rendre neutre (non-acide), on observe une amélioration de la performance. Notamment, le bicarbonate de sodium (NaHCO3) est une substance tampon comestible qui peut être utilisée pour garder le sang à un PH plus neutre.

Plusieurs études ont été faites à ce sujet, et l’effet ergogénique du bicarbonate de sodium sur la performance est bien documenté. Comment se peut-il que l’acide lactique soit bénéfique pour la performance dans le muscle seul, alors qu’une substance tampon qui neutralise l’acide lactique a un effet bénéfique?

Le gouverneur central…

Dans un ancien article, j’avais écrit sur le modèle du gouverneur central de Tim Noakes. Il semblerait que ce modèle soit en mesure d’expliquer le paradoxe de l’acide lactique. Selon les plus récentes hypothèses, l’acidité serait un marqueur de la fatigue que le gouverneur central (cerveau) cherche à garder sous contrôle. L’effet de l’acide lactique ne serait donc pas directement néfaste sur la performance, mais ce serait plutôt un marqueur indirect de fatigue que le corps cherche à contrôler.

Si je me permets un parallèle, c’est comme si vous achetez une moto et que la compagnie, pour vous empêcher d’aller trop vite, ferme automatiquement le moteur lorsqu’il est à plus de 100 degrés Celsius. La chaleur du moteur limite votre vitesse, mais n’y est pas automatiquement reliée; c’est la façon qu’a choisi votre fabricant de motos pour contrôler votre vitesse.

Conclusion

L’acide lactique n’a donc pas un effet néfaste à l’intérieur de vos muscles. En fait, il aurait même un effet positif sur leur performance. Par contre, votre cerveau interprète l’augmentation de la concentration de l’acide lactique comme étant un signal que le corps est fatigué. Votre cerveau envoie alors le message que vous êtes fatigué, même si l’acide lactique ne contribue pas directement à cette fatigue.

Daniel Riou
Kinésiologue et entrepreneur